Ce que je fais, c’est aussi pour les autres !

Le témoignage d’un homme sorti de l’exclusion avec l’aide de quelques-uns, avec son courage, sa fierté d’avoir été reconnu capable de jouer son rôle dans la société.

Par Agnes Grenier et Anne de Chambost (France)

P atrick Butin est né en 1963 avec un handicap moteur majeur. À ses parents on annonce qu’il ne marchera jamais. Ainé d’une fratrie de dix enfants, Patrick est scolarisé, porté par ses parents pour accéder à l’école. Sans beaucoup d’enthousiasme, son souvenir d’alors est qu’il “ n’y faisait rien”. Totalement exclu par ses camarades dans ce petit village d’Auvergne où son père était forgeron puis ouvrier dans la coutellerie. Patrick quitte l’école sans avoir acquis ni la lecture ni l’écriture. N’ayant pas non plus lié d’amitiés, Patrick s’est totalement replié sur lui. Malgré son handicap, il marche depuis l’âge de 10 ans, avec des béquilles sous les bras. Il dit ne pas avoir connu la misère, mais la grande difficulté. Il a été pensionnaire dans un centre de rééducation du Croisic jusqu’à l’âge de 20 ans, puis a travaillé pendant 3 ans dans un Centre d’Aide par le Travail, à Clermont-Ferrand.
En octobre 1986, Patrick arrive, avec sa famille, à Lyon, dans le quartier de la Duchère. Il partage sa passion du foot avec son beau-père qui l’emmène à des matches au stade de Belmont de la Duchère. Avec ces déplacements et le soutien de son beau-père, Patrick apprend à se repérer dans les transports et à circuler dans la ville : “ Ça a été le déclic, j’ai commencé à me débrouiller, à sortir ”. Il découvre alors les possibilités offertes par le Centre social “ Çà m’a appris à me dégourdir ”. Curieux et observateur, il se donne des repères.
Un jour, “ De très beau temps ” précise-t- il, “ je vois de ma fenêtre une dame avec des livres, entourée d’enfants, j’ouvre ma fenêtre et elle m’interpelle : ‘Toi, au lieu de t’emm… chez toi, descends ’ ”. Évidemment je suis descendu et la dame m’a dit : ‘ Il faut envoyer une carte dans tous les pays ’ . J’ai peint une carte ; c’était la première fois que j’envoyais une carte ; j’étais bien content ! . C’est ainsi que j’ai découvert ATD Quart Monde, grâce à cette dame. Puis à la Maison Quart monde, je suis venu faire l’accueil. On organisait des réunions pour améliorer le dialogue avec la Sécu, les services sociaux… ”.
Un jour aux réunions de son quartier, Patrick s’inscrit à la commission “handicapés ” à la mairie. “ Je suis curieux de nature ”.

Il propose de faire quelque chose pour les handicapés et entreprend des démarches pour améliorer l’accessibilité aux lieux publics pour des personnes handicapées. Ne sachant pas écrire, Il va voir l’écrivaine publique pour rédiger des courriers aux différentes instances responsables de l’aménagement. “ J’écrivais pratiquement tous les jours à la commission ”.

Passionné par sa mission, enthousiaste dans son engagement, il parvient à faire installer un ascenseur au stade Belmond, puis des rampes d’accès et des plans inclinés…

Après un courrier au Parlement européen, il obtient un financement pour aller trois jours à Strasbourg parler devant les députés des problèmes de l’accessibilité aux lieux publics : une plaquette sur ce thème est réalisée.

Simultanément, après prescription de son médecin, il se bat pour obtenir de l’Opac une baignoire pour pouvoir étendre ses jambes quasiment inertes. Sans réponse, il écrit à Christine Boutin alors ministre du Logement et obtient gain de cause. “ Pour connaître ses droits, il faut avoir les bons documents et les bonnes adresses… Je vais à la bibliothèque pour écouter mes mails en utilisant l’ordinateur, il me lit aussi les gros titres des journaux. D’ailleurs, j’ai rendez-vous avec le directeur de la bibliothèque pour améliorer le site… ”

Pour Patrick le droit de vote est très important et, sous tutelle depuis toujours, il ne peut voter. “ Je ne me sentais pas citoyen, je me suis battu pour avoir le droit de vote. Quand on est sous tutelle, il faut voir un psychiatre, non remboursé. J’avais préparé mes questions. Le médecin m’a donné un avis favorable. Après cela, je suis passé au tribunal devant une juge qui m’a posé des questions comme : combien y a-t- il de maires en France ? 36 000, autant que de communes, ou bien qui est le ministre du Sport ? Qui a créé le RSA ? J’avais préparé avec Claire, une alliée d’Atd. J’avais écrit à la ministre de la Justice. La juge m’a demandé : ‘et si je ne vous donne pas le droit de vote ? ’ Sans hésiter, je lui ai répondu que j’écrirai au Parlement européen ! Et bien,

j’ai tenu le bureau de vote la première fois où j’ai voté ! Aujourd’hui je participe à la vie du centre social : je fais de la sculpture sur bois, je me débrouille presque tout seul.

Je fais aussi des compétitions régionales de jeu de dames. Ce qui est important quand tu fais des activités ou que tu t’occupes d’accessibilité ou d’autre chose c’est que non seulement tu oublies ton handicap, mais qu’en plus tu aides beaucoup de gens.

Ce que je fais, c’est aussi pour les autres ! ”