De la chasse au crocodile… à la navigation sur internet.

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4 min readJan 18, 2018

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Guy Marcel, un jeune Gabonais, campe sous le métro La Chapelle. Nous le rencontrons et lui proposons de l’accueillir chez nous et de l’aider pour ses papiers.

Par Guy Marcel, Solal, Noé , Nathalie, Ivan (France)

P rintemps 2015. Dans la voiture, nous rentrons de vacances avec nos deux garçons, Solal et Noé. La radio annonce en boucle, comme depuis des semaines, que des centaines de migrants se sont encore noyés en Méditerranée. C’est insupportable. Un geste individuel serait une goutte d’eau dans la mer mais aura peut-être valeur de témoignage. Notre maison nous permet d’accueillir quelqu’un. Un coup de téléphone à Amnesty, à la Croix-Rouge, enfin à France Terre d’Asile.

Guy Marcel, un jeune Gabonais, campe sous le métro La Chapelle. Nous le rencontrons et lui proposons de l’accueillir chez nous et de l’aider pour ses papiers.

Guy Marcel a fui à 15 ans le Gabon et une histoire familiale douloureuse et violente. Enfant, loin de sa famille, il travaille aux champs et chasse le crocodile au lieu d’aller à l’école. A 13 ans, il retrouve sa mère et vit une brève période de bonheur familial. Mais sa mère meurt et l’oncle qui le recueille le maltraite et le prive d’école. Aussi, à 15 ans, après une violente dispute, Guy prend la route avec un passeur. Ils remontent l’Afrique : Cameroun, lac Tchad, Nigéria avec les rebelles de Boko Haram… Fait prisonnier par des Touaregs, Guy parvient à s’enfuir et séjourne ensuite près d’un an au Maroc. Le 28 février 2014, à la septième tentative, il franchit la haute barrière de l’enclave espagnole de Melila, avec plus de 200 autres migrants, et atteint le camp de réfugiés de la Croix-Rouge. Blessé, il y reste deux mois, puis rejoint Madrid mais il décide de poursuivre sa route jusqu’à Paris où il arrive à Gallieni le 4 novembre 2014. Il ne sait où loger, des migrants maliens lui indiquent un foyer mais un mois plus tard il a 18 ans, et la structure d’accueil ne peut plus le garder. Il se retrouve à la rue.
Printemps 2017. Guy Marcel habite chez nous depuis deux ans. Il est autonome. Nous avons fixé comme règle de diner ensemble au moins deux soirs par semaine pour faire le point. Il n’amène personne à la maison sans nous l’avoir demandé. Nous l’accompagnons à la préfecture à chaque rendez-vous pour le renouvellement de l’autorisation provisoire de séjour. Mais sa demande d’asile a été rejetée, le Gabon n’est pas un pays dangereux et Guy est considéré comme un émigré économique : il devra trouver le chemin pour régulariser sa situation, d’autant que le seul document qu’il possède est la photocopie (certifiée conforme) de son acte de naissance. Scolarisé depuis deux ans, il est en première année de CAP Chaudronnerie dans un lycée pro parisien. Il réussit brillamment en atelier et rattrape peu à peu son retard dans les matières générales. Délégué de classe, il s’est fait des amis par le club de boxe, les randonnées en roller les vendredis soirs, et des répétitions avec des jeunes d’horizons très variés qui ont été retenus comme lui par un metteur en scène connu pour participer à un spectacle! Le « petit gabonais » timide arrivé chez nous il y a deux ans a pris vingt centimètres et vingt kilos, il est devenu un jeune homme musclé, élégant, qui s’habille à la mode et teint en blond ses dreads locks. La route sera encore longue mais nul ne doute de son intégration.
Guy se sent ici à sa place, il dit qu’il a « tout » appris : à avoir des amis, à savoir comment parler avec les filles, à se comporter et dialoguer avec les autres, à se sentir libre. Il téléphone, envoie des mails, écrit.

Au début, je voulais oublier ce que j’avais laissé derrière ”, dit-il, “ maintenant, je me rends compte que je ne peux pas oublier et j’apprends à vivre avec.

Pour notre famille, être un de plus nous donne de la joie, de l’énergie, nous enrichit. Guy est discret mais participe à la vie de la maison : jardinage, bricolage, réparation des vélos… Nous découvrons un autre mode de pensée, une autre logique, plus subjective, plus concrète, plus poétique que la nôtre, aussi efficace — sinon plus — dans l’appréhension de la réalité. Bien sûr, pour trouver toute sa place dans notre pays, Guy Marcel doit aussi assimiler nos façons de penser abstraites… mais, pour nous, c’est passionnant de chercher à comprendre pourquoi il ne comprend pas. Son désir d’intégrer les codes, mentaux et sociaux, nous les fait mieux comprendre et relativiser. Nous mesurons la chance de nos vies en la faisant partager, et nous en savourons davantage le bonheur, comme ouvrir un robinet et voir l’eau couler, par
exemple.

Notre engagement a entraîné celui d’amis et de proches qui ont accueilli Guy Marcel pour des vacances, lui ont procuré des vêtements, ont participé à l’achat de son ordinateur, l’ont aidé : une cousine dentiste a réparé sa mâchoire malmenée par ses conditions de vie, nos parents l’ont soutenu pour la lecture et le calcul. Nous avons l’impression que notre action fait tache d’huile. De façon plus négative nous percevons concrètement les attitudes racistes auxquelles il est parfois en butte, comme si nous les ressentions de l’intérieur. Cela nous arme contre l’intolérance.

Ce qui nous étonne le plus chez Guy Marcel, c’est son optimisme, son enthousiasme, son sourire, sa capacité à analyser les situations et à les accepter, son absence de rancœur. Les migrants ne sont pas un fardeau mais une richesse.

On ne survit pas à un tel parcours sans posséder un courage, une intelligence et une force exceptionnels. Nous ne savons pas encore quel parcours il lui faudra suivre, mais nous sommes certains que Guy Marcel trouvera sa place dans le monde d’aujourd’hui, comme il l’a trouvée chez nous.

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