« Je vis dans un cimetière »

ATD Quart Monde Int
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4 min readMar 2, 2017

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Les gens qui vivent dans la pauvreté transforment les cœurs et les esprits aux Nations Unies.

Tita aux bras du Secrétaire Général des Nations Unies, M.Kofi Annan (octobre 2005)

Par Dave Meyer (USA)

C’est une femme vivant dans un cimetière qui m’a appris qu’on pouvait vaincre la misère.

Je l’ai entendue parler en 2005, dans le sous-sol d’un immeuble du East Village de New York. Ma femme, qui à l’époque était stagiaire au sein de l’équipe d’ATD Quart Monde organisatrice d’un événement à l’ONU, m’avait emmené à une répétition. La vingtaine de chaises dépareillées, alignées dans le sous-sol, n’était remplie que de manière sporadique quand les discours ont commencé. Des lectures calmes et informelles de textes qu’on préparait depuis des semaines. Le lendemain, les orateurs allaient rencontrer Kofi Annan, alors Secrétaire Général des Nations Unies, à l’occasion de la Journée mondiale du refus de la misère.

Le discours dont je me souviens le plus nettement commençait de manière simple : « Je vis dans un cimetière ». L’oratrice était une femme d’âge moyen aux cheveux sombres. Elle venait des Philippines. Son regard clair parcourait l’assemblée et elle n’hésitait pas à regarder les gens dans les yeux à chaque fois qu’elle le pouvait. Alors qu’elle lisait le discours qu’elle avait préparé, elle parut d’emblée modeste et déterminée : elle avait une bonne raison d’être là.

Elle était de Manille et elle faisait partie d’une communauté de gens qui, parce qu’ils n’avaient pas de vrai logement, vivaient dans les mausolées d’un des cimetières de la ville. Elle plaisanta sur ce que ça avait de lugubre de dire qu’elle vivait dans un cimetière mais elle se fit plus sérieuse en parlant de sa famille et de sa communauté, qui lui avaient demandé de venir aux Nations Unies expliquer en leur nom ce que c’était que de vivre dans une pauvreté extrême.

Quand elle eut fini son discours, elle retourna s’asseoir et l’orateur suivant prit la parole. La soirée se poursuivit ainsi, chaque orateur répétant son texte et retournant s’asseoir sous quelques applaudissements diffus. Quand les préparatifs furent terminés, ma femme et moi sommes rentrés à la maison par le train F qui va à Brooklyn. Mais la femme des Philippines hantait mes pensées et le lendemain, quand je me suis assis devant mon ordinateur au bureau, je me suis demandé si son discours s’était bien passé, si ça allait faire une quelconque différence. Est-ce que ses mots allaient avoir du poids ?

À la fin du week-end, elle retournait vivre dans le cimetière, je me préparais à Halloween et Kofi Annan sillonnait le monde dans son avion pour rencontrer les grands dirigeants.

Quelques semaines plus tard, je vis la photo officielle de l’événement et de tous les visages souriants que j’avais aperçus dans le sous-sol et qui étaient rangés autour de Kofi Annan. Je ne me doutais pas alors que la femme des Philippines avait réussi à se faire entendre. Vous pouvez la voir se tenir au bras de Kofi Annan comme à une bouée de sauvetage. Apparemment, elle avait été si déterminée à s’assurer qu’il la comprenait et qu’il l’écoutait attentivement, qu’elle n’avait pas voulu le lâcher de toute la rencontre.

Bien sûr, les Nations Unies n’ont pas repensé leur manière d’aborder la pauvreté à cause du seul discours d’une femme qui vit dans un cimetière. Les changements significatifs demandent de la persévérance et ils arrivent petit à petit, au fil des ans. Mais après bien des rencontres avec des gens assez obstinés pour s’accrocher au bras du Secrétaire Général, les Nations Unies ont changé. Des idées comme « éliminer 50% de l’extrême pauvreté », qui avaient toutes les chances de laisser pour compte ceux qui, à travers le monde, vivent dans les cimetières et les décharges, ont été remplacées par l’objectif de « ne laisser personne derrière ».

Ce jour d’octobre 2005 fut une étape dans un processus vers le changement, où l’un des hommes les plus importants de la planète prit quelques instants de sa journée pour écouter quelqu’un qui vit dans un cimetière. Je me souviens de son histoire et je me souviens de notre rencontre mais, en vérité, elle n’est pas unique. D’innombrables personnes travaillent chaque jour, au sein même des communautés les plus pauvres, pour mettre fin à la misère. Leur donner une chance de s’exprimer par elles-mêmes est une étape importante pour vaincre la pauvreté.

Pour écouter cette histoire, cliquer ici.

Tita raconte sa rencontre avec Kofi Annan :

video du site unheards-voices.org

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