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5 min readJan 30, 2018

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Après le démantèlement du système de l’apartheid en 1991, le gouvernement a bâti la première école de formation professorale pour les étudiants noirs à Siyabuswa, afin de former des enseignants qualifiés et de les réintégrer dans les écoles rurales.

Par Kiley Mclean (Afrique du Sud)

I l y a trois ans, j’ai pris un vol qui durait seize heures, entre New York et la petite ville rurale de Siyabuswa, en Afrique du Sud. En tant qu’éducatrice spécialisée, on m’avait demandé de venir y visiter l’école de formation des professeurs nouvellement créée et d’apporter mon aide à l’école primaire locale. Deux ans auparavant avait été construite l’École de Formation des Professeurs de Siyabuswa où je vivais, où je mangeais et où je travaillais.
Quoique la grande pauvreté et les conséquences de l’apartheid continuent à affecter les communautés rurales sud-africaines telles que celle-ci, les structures familiales, la résilience et l’espoir triomphent dans les parcours individuels. Pendant l’apartheid, les enfants noirs qui vivaient dans la pauvreté ne recevaient qu’une éducation succincte, si toutefois ils en recevaient une, et les professeurs étaient punis par le gouvernement s’ils essayaient de leur enseigner.
Après le démantèlement du système de l’apartheid en 1991, le gouvernement a bâti la première école de formation professorale pour les étudiants noirs à Siyabuswa, afin de former des enseignants qualifiés et de les réintégrer dans les écoles rurales.

Les enseignants en herbe que j’ai rencontrés et qui m’ont rapidement conquise avaient entre 18 et 25 ans et ils appartenaient à la première génération de leur famille à avoir ne serait-ce que fini l’école, sans même parler d’université. Pour beaucoup d’entre eux, aller à l’université était la première opportunité de quitter leur village, de dormir dans un lit rien qu’à eux, d’accéder à des bibliothèques et des ordinateurs, de manger trois repas par jour et de profiter d’une couverture santé.
Le gouvernement a offert à chacun de ces enseignants une bourse pour couvrir les frais d’inscription et le coût de la vie. Ces bourses n’ont été données qu’à de jeunes adultes de régions rurales qui auraient été sinon incapables de s’offrir une certification professorale. En contrepartie de la bourse, les étudiants s’engageaient à retourner dans leurs villages et à enseigner à l’école publique rurale pendant au moins quatre ans.
Quand je suis arrivée, 100 nouveaux étudiants venaient de s’inscrire auprès de dix nouveaux professeurs. J’ai appris il y a trois mois que près de 400 étudiants s’inscriraient l’année prochaine et que le corps de formateurs a doublé.

Je me souviens très bien de chaque étudiant dans cette classe de 100 et je ne peux qu’imaginer les changements qu’ils ont déjà suscités dans leurs propres communautés, depuis qu’ils ont obtenu leur diplôme.

À chaque journée passée avec ces professeurs, j’ai été inspirée et impressionnée par leur envie d’apprendre, par leur désir spontané de rendre ce qu’ils avaient reçu et par leur compassion, dans le travail avec les enfants. Alors même que les barrières de la langue et de la culture se dressaient entre nous, ils m’ont accueillie à bras ouverts dans leur petite famille. J’étais toujours saisie par leur capacité à faire quelque chose avec trois fois rien. Je les ai observés donner des leçons de lecture à de jeunes enfants à partir des chansons de leurs villages, faire des cours de maths dans la boue du sol et des cours de sciences avec des déchets recyclés trouvés dans les poubelles du voisinage.
Leur reconnaissance pour les ressources et les opportunités qui leur avaient été offertes était considérable et les cours étaient pleins de chaleur, de convivialité, de rire et d’espoir. Ces enseignants suivaient studieusement chacun de leurs cours d’université et, armés de ce savoir nouveau, ils repartaient aider les écoliers, avec enthousiasme et professionnalisme. Ils ne se seraient arrêtés à rien, ils ne s’arrêtent à rien pour offrir un enseignement de qualité aux enfants d’Afrique du Sud.

J’ai pu constater les progrès immenses des écoliers avec lesquels ils ont travaillé, des enfants dont l’amour de l’école se devinait à l’excitation qu’ils éprouvaient chaque jour à la perspective de s’y rendre.

Un jour en particulier, alors que j’arrivai à l’école primaire, tous les enfants et tous les professeurs étaient rassemblés dans la cour, alors qu’à cette heure-ci, ils étaient d’ordinaire en classe. Soudain, une voiture aux vitres baissées a surgi dans l’enceinte de l’école, en diffusant une chanson que tous semblèrent reconnaître. Les professeurs, les enfants, les employés se sont mis à applaudir à tout rompre, à danser, à crier dans la cour. L’un des enseignants a pointé un petit trophée sur le toit de la voiture, un trophée qui ne devait pas faire plus de quelques centimètres de haut. Rapidement agrégée à la fête, j’ai appris que l’école venait de remporter son tout premier trophée, lors d’une compétition scientifique locale.
On a chanté et on a ri, on a pleuré et on a embrassé le trophée, pour célébrer cette victoire, pendant plusieurs heures ce jour-là. Les enseignants et les étudiants étaient rayonnant de fierté et on ne pouvait vraiment que se sentir emporté par la joie et l’esprit de famille tout autour de nous.
Ce dont cette école primaire manquait, comme d’autres de la région, en matière de fournitures et de fonds, elle en avait à revendre pour ce qui était du moral, positif contre vents et marées, de la fierté sans limite pour les réalisations même les plus simples et de la capacité féroce à affronter tout obstacle sans fléchir.
Les professeurs en formation auxquels j’ai rendu visite et avec qui j’ai travaillé sont désormais diplômés de l’école de formation et ils sont partis enseigner dans différentes région du pays. Ils sont capables de parler anglais, de concevoir des séquences pédagogiques engageantes et de se reposer sur les nouvelles technologies. Beaucoup d’entre eux, comme mon ami Rethabile, ont construit de nouvelles écoles et recruté d’autres jeunes gens de leur village pour qu’ils aillent à Siyabuswa. Bien d’autres, comme mes amis Thulile et Dimak, ont poursuivi leurs études jusqu’à décrocher un doctorat.
Je suis toujours en contact avec ces familles d’Afrique du Sud et certaines ont le projet de venir visiter les États-Unis dans les années à venir. L’Agence Étasunienne pour le Développement International (USAID : United States Agency for International Development) a récemment reconnu le travail incroyable fourni par l’école de formation professorale de Siyabuswa et a investi ces dernières années dans son extension. L’institution continue à offrir aux personnes qui vivent dans la pauvreté un moyen d’accéder à l’enseignement supérieur, au marché du travail et à la stabilité économique. On y traite chaque personne dans la dignité et l’on y développe les programmes dont les jeunes adultes ont besoin pour construire et structurer leurs communautés.

Ce projet a puisé dans les talents d’un groupe incroyable de jeunes gens nés et parfois prisonniers de la pauvreté et de l’isolement. Ce fut un privilège que d’observer ce groupe se développer et continuer à donner de l’inspiration non seulement à moi-même et à son entourage mais également au monde entier.

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