La Brigade de lutte contre les inondations

ATD Quart Monde Int
1001 Histoires
Published in
4 min readFeb 5, 2018

--

« La solidarité affranchit les personnes de l’esclavage de la misère ».

Par les membres du mouvement ATD Quart Monde (Sénégal)

L a situation des quartiers inondables de Dakar est devenue un sujet de société récurrent. Au fil des années, des moyens mis en œuvre pour lutter contre les inondations se sont multipliés : l’armée, d’importantes fondations, des programmes de coopération internationale… Les gens du quartier regardent souvent en spectateurs des réponses qui les dépassent et qui ne prennent que rarement le temps de la concertation.
Dans ce contexte, le mouvement ATD Quart Monde au Sénégal apporte un point de vue original qui consiste à s’appuyer sur l’engagement humain, sur les forces de la communauté, sur l’effort des plus fatigués. Un voisin du quartier Guinaw-Rails Nord, Mor Thiam nous rappelle que

c’est par notre liberté, parce que nous n’avons pas d’intérêt personnel, que nous pouvons faire des actions positives. Ainsi nous rappelons à la population la possibilité d’agir pour sa propre libération.

A l’approche de l’hivernage, des contacts sont pris avec les institutions concernées (mairie, autres associations intervenants dans le quartier, chefs de quartier, population en général).
Un groupe de quelques jeunes (volontaires, amis ou jeunes militants ou sympathisants, vivant dans le quartier ou non) s’engage à constituer la brigade pour les quelques mois d’hivernage, consacrant au moins 3 jours par semaine aux travaux de lutte contre les inondations.
L’une des activités consiste dans le creusement d’un réseau de petits canaux, qui drainent vers des zones de rétention ou vers des sorties conduisant à la mer les eaux (eaux de pluie, mais aussi eaux usées débordantes des fosses septiques inondées et toutes sortes de déchets domestiques). Les moyens de travail choisis sont volontairement simples (pelles, pioches, seaux, râteaux) en comparaison des motopompes ou des pelles mécaniques utilisés par d’autres organismes.
L’autre activité consiste à donner des “ coups de main ”, soutenant des familles parmi les plus fatiguées du quartier dans leur travail quotidien et éreintant qui consiste à écoper l’eau qui, remontant de la nappe phréatique, envahit leurs cours et leurs maisons jour après jour.
Ce n’est pas simple de venir en aide aux autres quand tu es en train de mal vivre toi-même. Mais

on arrive à voir chaque jour dans le quartier des gens qui dépassent leur situation individuelle et se mettent ensemble pour créer des véritables gestes de solidarité ”.

Aux côtés de cette équipe, la population du quartier et d’autres membres du mouvement sont invités à se joindre à cette action. Certains le font la pelle à la main, d’autres par des encouragements ou des dialogues. Aussi faut-il considérer le geste des gens qui ont accepté que les canaux passent devant chez eux. Et ensuite, il y a les notables des quartiers et les gens de la grande mosquée qui acceptent de voir se déverser l’eau dans l’étendue située devant la mosquée même si elle dérange constamment leur lieu de rassemblement et de culte. “ On peut creuser les canaux, nous disait Jean Diène, un des tout premiers membres du mouvement au Sénégal, mais il faut chercher à connaître les gens, connaître leur souffrance. C’est très important ”.
A partir de 2010, un partenariat est établi avec l’Université Polytechnique de Madrid, en lien avec l’Université Cheikh Anta Diop de Dakar. Il s’agit de comprendre activement la complexité de l’habitat en milieu urbain défavorisé et les possibilités pour des initiatives collectives d’amélioration. Cette recherche se mène en symbiose avec l’action de lutte contre les inondations.
Pendant les 3 années écoulées, des étudiants en architecture ont passé des périodes de 6 mois en lien avec le mouvement ATD Quart Monde, dans le cadre de leur projet de fin d’études. Ils ont apporté leur savoir-faire, notamment en termes de cartographie, aidant la brigade à étayer d’une rigueur scientifique son engagement et la connaissance acquise. Ce partenariat a aussi permis un apport financier au projet.
L’action de la brigade de lutte contre les inondations a fait l’objet de quelques présentations publiques. Comme en témoignaient deux volontaires impliqués dans la brigade : “ Ces quartiers sont dans une telle urgence, que ce n’est pas la solution définitive. Mais il y a quelque chose de très important qui a changé: D’abord les gens dans le quartier savent qu’ils peuvent faire des choses par leurs propres moyens. Ensuite, aujourd’hui ils ont une réflexion, ils savent de quoi ils sont capables, ils ont été obligés à faire face et à se concerter.

Ils se sont mis d’accord pour que l’eau d’un quartier passe par un autre quartier pour libérer les plus fatigués ”.

Fin 2013, le ministère de Restructuration et d’Aménagement des Zones Inondées du Sénégal a lancé un chantier de canalisation dans la commune de Guinaw Rails. La présentation du projet aux chefs de quartier et à quelques habitants a suscité un grand soulagement et beaucoup d’espoir. Le chef de chantier a confié que les tracés des canaux se sont inspirés des trajets des
canaux superficiels creusés les années précédentes.

--

--

ATD Quart Monde international, présent dans plus de 30 pays. #StopPauvreté, droits de l'homme, #ODD. Suivez l'action France sur @ATDQM