La vision révolutionnaire de Wresinski

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4 min readJul 3, 2017

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“ L’extrême pauvreté est la conséquence directe de la violation des Droits de l’Homme. ” Cette vision et la pensée de Joseph Wresinski ont permis l’adoption par les Nations Unies d’un texte sur les droits de l’homme et l’extrême pauvreté.

Par Janet Nelson, Vice-Présidente du Mouvement international ATD Quart Monde

Quand les gens parlent de l’extrême pauvreté, ils évoquent le plus souvent des solutions sur le plan du développement économique : de meilleurs emplois et beaucoup plus d’emplois, accès à la technologie moderne, plus de routes et d’aéroports.

Mais Joseph Wresinski voyait plus loin. Il avait une connaissance intime de l’extrême pauvreté, ayant grandi lui-même dans une famille démunie, sans la présence d’un père. Il a ensuite travaillé en tant que prêtre auprès des familles qui vivaient dans des baraques en fibrociment sur un terrain boueux en dehors de Paris. Ce qu’il avait vécu étant enfant et dont il avait été témoin à l’âge adulte l’a amené à prendre progressivement conscience que la souffrance des familles n’était pas seulement due à un manque de moyens financiers : leurs droits étaient violés au quotidien.

Les baraques en tôles ondulées étaient froides et humides. Les familles n’avaient pas accès aux soins de santé adéquats. Les parents sans formation ni tenue appropriée avaient du mal à trouver du travail. Les enfants n’étaient pas en état de recevoir une éducation décente parce qu’ils allaient à l’école le ventre vide et s’y faisaient humilier à cause de leurs haillons. Il était fort probable qu’ils transmettraient à leur tour leur pauvreté, leur honte à la génération future. Pire encore : les parents n’arrivaient pas à faire prendre conscience aux politiques à quel point leur situation était grave. On leur laissait plutôt penser qu’ils étaient fautifs.

C’était donc cette impuissance, ce manque d’espoir de pouvoir se sortir eux-mêmes de cette situation qui rendaient l’extrême pauvreté différente de la pauvreté.

Wresinski était convaincu que la charité et les bonnes œuvres ne briseraient jamais ce cercle vicieux. Que c’était seulement en soutenant les gens dans leur combat pour les droits que l’on pourrait vraiment faire la différence.

Après avoir fondé ATD Quart Monde avec les familles elles-mêmes et bâti un mouvement solide, il réussit à faire ériger une dalle sur la place du Trocadéro à Paris, en 1987. Les mots qui y furent gravés étaient révolutionnaires : “ là où des hommes sont condamnés à vivre dans la misère, les droits de l’homme sont violés. […] ”

Ses expériences dans d’autres pays renforcèrent cette conviction. Comme le dit une femme du Pérou : “ Ce qu’il y a de pire quand on vit dans l’extrême pauvreté, c’est le mépris, c’est d’être traité comme un moins que rien, c’est qu’on nous regarde avec peur et dégoût, et même qu’on nous traite comme un ennemi. Nos enfants et nous en faisons l’expérience tous les jours, et ça nous blesse, nous humilie, nous force à vivre dans la peur et la honte. ”

Déterminé à alerter la communauté internationale de cette situation, Wresinski s’est adressé à la Commission des Droits de l’Homme des Nations Unies à Genève en 1987, lui demandant d’étudier la relation entre l’extrême pauvreté et les droits de l’Homme. C’est ce qui a entraîné une série d’études par des experts aux droits de l’Homme, avec des enquêtes de terrain organisées par ATD Quart Monde, afin qu’il puisse y avoir une rencontre avec des personnes vivant dans l’extrême pauvreté. Ces rencontres ont conduit à la désignation par le Conseil des Droits de l’Homme, d’un expert indépendant pour écrire l’ébauche d’un texte définissant l’extrême pauvreté et déterminant les actions nécessaires pour remédier aux violations des droits causées par la pauvreté.

Le texte final, adopté par le Conseil en 2012, est intitulé les “ Principes Directeurs des Nations Unies sur l’Extrême Pauvreté et les Droits de l’Homme ”.

C’est le premier texte international qui reconnaît que l’extrême pauvreté est la cause et la conséquence de la violation des droits de l’Homme.

Ce qu’impliquent ces Principes Directeurs est énorme, leur adoption signifie que les gouvernements ont reconnu que l’éradication de l’extrême pauvreté n’est pas seulement un devoir moral mais aussi une obligation légale en vertu des conventions sur les droits de l’Homme que la plupart des pays ont ratifiées.

Ce qui veut dire que les gouvernements ont le devoir d’empêcher la stigmatisation des personnes vivant dans l’extrême pauvreté et de s’assurer qu’elles aient accès à une éducation de qualité et à des services de santé, à un logement digne, à un traitement équitable devant la loi et à des conditions de vie adéquates.

Pour réussir ces politiques, il est nécessaire d’associer les personnes vivant en situation de pauvreté comme partenaires, afin de rompre définitivement le cycle de la pauvreté.

Aujourd’hui, la réflexion de Joseph Wresinski sur les réalités de l’extrême pauvreté a commencé à avoir un impact sur la manière dont nous relevons l’un des plus grands défis mondiaux : comment s’assurer, à partir d’une approche fondée sur les droits de l’Homme, que la croissance de la richesse soit gérée de sorte que chacun puisse accéder aux services indispensables pour vivre dans la dignité et prendre en charge sa propre vie et celle de sa famille.

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Pour promouvoir les Principes Directeurs auprès de celles et ceux qui œuvrent à l’échelle locale, ATD Quart Monde et Franciscains International ont édité en 2015 un manuel qui décrit les principes de base pour travailler avec des personnes qui vivent dans l’extrême pauvreté et qui donne des suggestions quant aux actions qui peuvent être entreprises pour les aider à faire progresser leurs droits.

Disponible ici en français : http://www.atd-quartmonde.org/wp-content/uploads/2015/09/2015-09-01-PrincpDirEPDH-Manuel-FR-ATD_FI_Handbook_French_WEB.pdf

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