Les médiateurs du livre dans les quartiers

ATD Quart Monde Int
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4 min readAug 2, 2017

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À la fin des années 1980 et au début des années 1990, à travers l’action des bibliothèques de rues, une dizaine de jeunes sans diplôme vont rejoindre une formation professionnalisante leur permettant de devenir « médiateur du livre » et d’accéder à un métier.

Par François Guillot (France)

D epuis 1968, partout en France, et aujourd’hui dans le monde, des jeunes s’engagent pour amener des livres dans les quartiers défavorisés. Cette action a été lancée par le père Joseph Wresinski qui a interpellé les étudiants en grève et leur a proposé d’aller apporter des livres dans les quartiers les plus déshérités. Au fil des ans, ces “bibliothèques de rue” ont été un moyen simple et concret pour des jeunes de tous milieux sociaux d’exprimer, par un engagement hebdomadaire, leur solidarité avec les enfants de ces quartiers et leurs familles….

Au cours de l’histoire des bibliothèques de rue, sont apparus des animateurs différents. C’étaient les jeunes de ces quartiers, les grands frères et les grandes sœurs des enfants qui y participaient. Parce qu’ils étaient là, au départ curieux, puis intéressés, ils ont pris leur place dans les animations.

Engagé moi-même avec les jeunes du Quart Monde, j’ai été témoin de l’engagement de ces jeunes vis-à-vis des enfants de leur quartier. Témoin de leur volonté d’agir pour lutter contre l’ignorance et la honte, et d’en libérer les enfants.

En effet, qui connaît mieux qu’eux les enfants de ces cités ? Qui peut mieux qu’eux communiquer, utiliser un langage que les enfants comprennent, les comprendre et se faire comprendre d’eux ?

Qui peut mieux qu’eux ressentir les souffrances, les privations, les discriminations, mais aussi les rêves, les forces, les combats de ces familles ?

Qui peut mieux qu’eux être médiateur entre le savoir de leur monde et le savoir plus structuré, plus académique, illustré par les livres ?

Qui peut mieux qu’eux être médiateur entre le monde des enfants et le monde des institutions, culturelles et autres ?

C’est ainsi qu’en 1988, une première rencontre eut lieu entre le ministère de la Culture, la Direction du Livre et ATD Quart Monde pour évoquer le projet de donner à ces jeunes « militants » issus des quartiers défavorisés une formation professionnelle en les formant à un nouveau métier : celui de médiateur du livre dans ces quartiers.

Parce que j’étais proche de ces jeunes militants que j’accompagnais dans leur projet d’insertion sociale et professionnelle, il m’ a été demandé d’être leur référent pour le Mouvement dans ce projet pilote.

Ainsi de 1992 à 1994, je fus coordinateur pour ATD Quart Monde d’une première promotion de médiateurs du livre dans les quartiers. Un institut de formation de travailleurs sociaux, l’association en charge de la formation de bibliothécaires, avec la Direction du Livre en appui, conçut un programme de formation en alternance. Douze jeunes venant du réseau des bibliothèques de rue d’ATD Quart Monde furent sélectionnés pour cette formation expérimentale, auxquels se joignirent deux jeunes d’une association de la ville d’Amiens.

Les critères de sélection étaient : avoir une bonne connaissance des milieux de grande pauvreté, et/ou en être issu, avoir mené des actions culturelles en qualité de bénévole, animer des bibliothèques de rue et ne pas avoir le baccalauréat.

Ce projet pilote a donc impliqué de nombreux partenaires autour de la définition et la mise en œuvre de cette fonction de médiateur du livre dans les quartiers : le ministère de la Culture, à travers la Direction du Livre par son soutien financier, sans lequel rien n’aurait été possible, les villes et leurs bibliothèques, Grenoble, Caen , Rennes, Bezons, Vaulx-en-Velin, Lille, Ermont, Saint-Quentin, Marseille, Bordeaux et Amiens, les associations locales et les médiateurs du livre qui s’investirent pleinement pour inventer leur activité « hors les murs » afin de rejoindre le public visé, le public des non-lecteurs.

Douze jeunes sur quatorze ont obtenu la validation de leur formation de médiateur du livre et le diplôme d’auxiliaire de bibliothécaire. Ils furent, toujours avec l’aide du ministère, employés dans une bibliothèque à l’issue de leur formation.

J’ai été heureux d’accompagner ces jeunes dans cette formation pendant deux ans. J’étais fier qu’aucun n’ait abandonné et, au contraire, que tous aient réussi et progressé dans cette aventure.

D’autres formations de médiateurs du livre eurent lieu par la suite sous la forme d’un BEATEP (Brevet d’Etat d’Animateur Technicien de l’Education Populaire et de la jeunesse).

L’arrivée en 1995 du dispositif des emplois-jeunes a donné aux mairies le coup de pouce financier nécessaire pour embaucher, sans que soient définies en amont les missions précises qu’auraient à faire les nouveaux « médiateurs de bibliothèque » recrutés. L’aspect premier du «hors les murs » devenait secondaire…

Cela reste un défi d’aller dans les quartiers à la rencontre des enfants non-lecteurs. Cependant, beaucoup de bibliothèques entreprennent une manière de rejoindre les populations les plus éloignées : activités avec des livres dans les quartiers, bibliobus, camion-livres, animations contes dans la rue, espaces citoyens, ou présence de médiateurs du livre ayant une histoire de pauvreté…

Un chemin encore à poursuivre.

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