Né dans la grande pauvreté, il se met au service des autres.

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4 min readJan 15, 2018

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Anthony décrit son parcours de vie, de l’extrême pauvreté à la création d’un projet : Uganda Community Farm. Celui-ci permet à un groupe de petits agriculteurs de mettre en place un certain nombre d’activités génératrices de revenus pour arriver à une autonomie financière.

Par Anthony Kalulu (Ouganda)

J ’ai 35 ans et j’ai vécu dans l’extrême pauvreté pendant presque 30 ans. J’ai passé mon enfance dans une petite hutte de terre à l’ouest de l’Ouganda. Je suis issu d’une famille pauvre où tout était difficile à obtenir, de la boîte d’allumettes au savon. J’étais voué à l’échec dès ma naissance. Ma mère, qui n’avait jamais été à l’école, n’avait qu’un seul moyen pour payer mes frais de scolarité : distiller de l’alcool. Elle n’a pu payer mes frais que jusqu’au secondaire, en 1998. Après, elle n’en a plus eu les moyens.

En 1999, je suis parti pour la capitale de l’Ouganda, Kampala où, enfant des rues, j’ai fait de nombreux petits boulots pendant deux ans. En 2001, le principal homme politique de l’opposition ougandaise a fait une promesse électorale ambitieuse: s’il remportait l’élection présidentielle, tous les établissements d’enseignement supérieur deviendraient gratuits. Sauf qu’il a perdu les élections. Heureusement, le président élu a accepté de tenir certaines des promesses de son adversaire. En 2001, la formation des
enseignants est devenue gratuite. À cette époque, j’étais ouvrier occasionnel dans un garage de motos à Kampala. Ayant été parmi les bons élèves à l’école secondaire avant de la quitter en 1998, c’était ma seule chance de retourner à l’école !

En 2001, je me suis immédiatement inscrit dans un Institut de Formation des Enseignants. J’ai obtenu mon diplôme en 2003. Malheureusement, avec mon salaire de fonctionnaire de 113 000 UGX (ou 30 USD) mensuel, je ne pouvais pas dépasser le 1 dollar par jour d’échelle salariale. J’ai démissionné
en 2011. Les sept ans de ma vie passés à enseigner furent les plus difficiles. Pourquoi ? Parce que j’étais obligé d’aller travailler tous les jours bien habillé alors que, la plupart du temps, je n’avais rien dans le ventre et j’avais un bas salaire. Chaque jour, j’étais inquiet pour la nourriture, mon loyer et les
factures à payer. Certains de mes élèves les plus âgés ont commencé à se moquer de mes chaussures et de mes vêtements abîmés. Je craignais d’aller à l’école, même si c’était moi l’enseignant.

Entre 2011 et 2014, j’ai souffert de la faim, je n’avais rien à manger et je vivais dans une petite chambre à louer à Kamuli, à l’est de l’Ouganda. Je n’avais ni emploi, ni terre. Le pire, c’est que ce n’était pas la première fois que cela m’arrivait. C’était un cycle régulier de ma vie qui revenait depuis l’enfance. Il
m’affectait au point, qu’à cette époque, je pensais au suicide, ou à disparaître pour que mes amis et ma famille ne sachent jamais ce que j’étais devenu.

Malgré tout, à bien des égards, même s’il ne m’avait pas sorti de l’extrême pauvreté, l’enseignement avait élargi mes horizons et mes compétences créatives. C’est pourquoi en 2014, j’ai créé le projet agricole Uganda Community Farm (UFC, la ferme communautaire de l’Ouganda).

J’ai obtenu 10 acres de terre pour ce projet en 2015, après avoir organisé quatre petites campagnes de financement qui ont permis de récolter entre 100 $ et 1 100 $ chacune. Notre approche consiste à fournir à des exploitants agricoles démunis, en particulier les femmes et les jeunes, du matériel de plantation initiale, des engrais organiques en quantité suffisante et une formation technique sur certaines cultures, puis à mettre en commun leurs productions et à les vendre sous un même toit.

Sur cette terre, un groupe d’agriculteurs a maintenant réussi à mettre en place un certain nombre d’activités génératrices de revenus visant à ce que les agriculteurs en lien avec l’UCF deviennent financièrement autonomes. En 2016, sur cette même terre, un groupe d’étudiants britanniques nous a
soutenu pour construire une coopérative et mettre en commun les productions des agriculteurs et les vendre. Le siège de l’UCF se trouve également dans cet entrepôt. Grâce à ce projet, nous avons maintenant beaucoup de nourriture cultivée au siège de l’UCF. Nous avons par exemple des bananes, des pommes de terre et du maïs. C’est la première fois que je me sens en sécurité alimentaire dans ma vie d’adulte. Nous avons, par exemple, cultivé bien plus de bananes que nous ne pouvons en manger et nous vendons la majorité d’entre elles dans les environs de Kamuli.

L’UCF aide maintenant des centaines de ménages ruraux de l’est de l’Ouganda à sortir de l’extrême pauvreté en leur permettant d’accéder à des marchés agricoles.

Mais nous faisons face à un grand défi: non seulement les produits frais ont une durée de conservation limitée, ils sont également soumis à des marchés très volatils. Il nous a fallu élaborer un plan évolutif et tenace pour la commercialisation de ces produits. Afin de conquérir un marché plus vaste, notre nouveau plan consiste à mettre sur pied une usine agricole pour transformer la production de nos agriculteurs en produits alimentaires soit intermédiaires soit finis. J’ai parfois l’impression de porter un lourd fardeau. Je suis moi-même pauvre, mais je dois continuer à aider d’autres agriculteurs pauvres pour trouver des solutions et vendre leur production. C’est moi qui ai commencé ce projet, je ne peux pas l’abandonner !

Bien qu’ayant vécu la majeure partie de ma vie à l’épicentre de la pauvreté chronique, la théorie de Newton selon laquelle « toute action entraîne une réaction équivalente et de force opposée » s’est avérée vraie pour moi. Les obstacles que j’ai dû surmonter ont façonné mon parcours. Cela me donne à penser que la sagesse s’apprend plus à travers ce que l’on vit qu’à travers ce que l’on peut lire dans les livres.

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