“ On se sent libres comme des oiseaux ”

ATD Quart Monde Int
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5 min readJan 31, 2018

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Qui peut imaginer le courage, l’obstination, le dépassement, qu’il leur a fallu pour arriver jusque là…

Par Chantal Joly (France)

N ous sommes à la belle saison, dans la France de “ plaines en forêts de vallons en collines ” chantée par Jean Ferrat. Au pied d’une solide bâtisse voisine d’une rivière, des parents prennent le frais sous un marronnier en bavardant de choses et d’autres tandis qu’une ribambelle d’enfants dispute une partie acharnée de cache-cache, avant que tous ensemble ne partent en excursion vers un belvédère.
Qui pourrait imaginer que, parmi eux, certains savourent pour la première fois la saveur des vacances. Qui peut imaginer le courage, l’obstination, le dépassement, qu’il leur a fallu pour arriver jusque là.

Qui peut surtout imaginer que ces hommes et ces femmes épris de détente et de convivialité comme tous les autres ne sont pas considérés comme des citoyens à l’égal des autres le reste du temps.

Cela se passe dans la maison de vacances familiales “ La Bise ” d’ATD Quart Monde, dans le Jura “ J’ai débarqué seule à la gare… C’est bien à moi qu’on faisait signe. Ils étaient quatre : rien que pour venir me chercher ! Me voilà d’un coup dans un autre monde ” raconte Jacqueline, une vacancière. Les enfants sont transformés. “ Je ne sais pas si c’était le climat mais je les ai vu souriants, ils m’écoutaient un peu plus quand je leur disais quelque chose ”. Même constat pour Christelle, de l’Isère : “ Déjà le grand qui sortait jamais, ça lui a fait du bien de partir une semaine. J’ai vu qu’il était content.[…] Il s’entendait bien avec les responsables, il était toujours avec eux. Et ma fille était heureuse aussi. Elle faisait du vélo. Ils étaient tous heureux ”.
Moi, le plus que j’ai aimé, honnêtement, c’était le soir. Pourquoi le soir ?On avait couché les enfants. On était tranquille. On faisait des jeux de société avec les accueillants. On buvait le café. On parlait des petits soucis qu’on avait, des petites angoisses.[…]. C’était bien ”, raconte Flora.
Dans le cours d’un séjour, j’ai plusieurs fois remarqué ce moment où les gens prennent conscience qu’ils ont envie de faire des choses pour eux ”, note Philippe.
Ne plus avoir en permanence la surveillance de ses enfants fait partie du luxe des vacances. On peut de nouveau écouter ses propres envies et être disponible à son conjoint. “ Moi j’ai eu quatre enfants en huit ans et là on peut prendre du temps ensemble. Avec mon mari d’abord, on a pris du temps à deux puis à six avec les enfants. On n’avait jamais pris le temps de se promener la main dans la main avec mon mari ! ”, témoigne Simone.
Les vacances font partie de ces moments où maris et femmes, parents et enfants, passent du bon temps ensemble. Oubliés les conflits liés à des problèmes de scolarité, évanouies les tensions liées à la cohabitation. Les uns et les autres se retrouvent sur du positif et le bien-être ressenti permet
réconciliations et unité.
Antony était triste quand on est parti. Je pense que c’était d’avoir pu voir autre chose et que le père joue avec lui.[…] Il a fait de la pétanque avec son fils, il a fait des activités sans que je sois avec. Il a joué au billard, à la pétanque, il a fait son truc au tour à bois avec son fils.[…]
On a appris à être en famille ”, témoigne Nicole, du Luxembourg. “ Les seuls moments où on a eu du bonheur avec notre mère, c’était ces moments-là où on était dans un autre cadre de vie, un cadre calme, reposant. Après, je ne vois pas. On n’a que des mauvais souvenirs.
C’est vrai que les vacances, ça peut être le point de départ d’autre chose. Ça peut permettre de ressouder une famille quand les enfants sont en foyer ”, confie également Philippe.
Ces pauses inter-générations sont d’autant plus primordiales pour des familles déchirées le reste de l’année à cause du placement d’un ou plusieurs enfants. Les vacances sont alors les uniques occasions où les uns et les autres se reconstituent comme famille. Nicole, qui a eu la chance de partir à La Bise avec son fils, a su trouver les mots pour exprimer combien cette vie commune toute ordinaire est précieuse :
“J’ai pu apprécier mon fils parce que j’avais ma chambre et lui l’autre, à côté. Une nuit, je me lève, je vais le voir, il dort bien. Je me demandais si c’était bien mon gamin qui était là ! Je ne l’avais jamais eu en vacances… Là, il dormait à côté, vous ne pouvez pas savoir le choc que ça peut vous faire ” .
Ainsi Janine déclare :

Les vacances, c’est voir des choses qu’on ne peut pas voir chez nous : les grottes, les cascades, des tas de choses comme ça qu’on n’a pas dans notre secteur, surtout quand on n’a pas de moyens de locomotion personnelle, qu’on ne peut pas bouger ”.

Nouveaux paysages, nouveaux bruits, nouveaux arômes, nouvelles saveurs, nouveaux contacts ; les cinq sens sont à la fête !
En revenant des vacances, mon fils, en ouvrant grand ses bras comme des ailes s’est exclamé : ‘ Nous, on est libres, on se sent libre comme des oiseaux avec ces vacances, on peut s’envoler ’ ”, raconte joliment Corinne.
Jacques confirme ce redémarrage : “ Quand on est revenu, cela m’a redonné du punch pour retrouver un logement, refaire les papiers, rechercher un emploi. Cela a changé plein de trucs dans nos relations avec le petit. Le mois d’après on avait retrouvé un autre logement avec un propriétaire privé.
Aujourd’hui, il paraît que les temps sont trop difficiles pour penser aux vacances, pour offrir aux parents et aux enfants des familles les plus fatiguées et les plus maltraitées par la vie des possibilités de penser qu’ils sont des êtres humains, des êtres qui ont le droit de réfléchir, de rire, de jouer, de s’émerveiller, en un mot d’être des hommes », constatait en 1984 Joseph Wresinski, fondateur du Mouvement Atd Quart Monde. Ces lignes pourraient avoir été écrites hier tant ce droit aux vacances, inscrit depuis dans la loi, reste encore théorique dans les faits et improbable dans les esprits.

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