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5 min readDec 13, 2017

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AMER, irakien, réfugié au Liban depuis 2015 avec son épouse ANGHAM et leurs 3 filles, partage autour d’un repas d’adieu chez un de ses amis de Beitouna (groupe d’accueil dans le quartier où ils ont vécu à Beyrouth), une part de son histoire à la veille de leur départ définitif pour le Canada.

par Georgia Haddad et Marie-Ange Libert (Liban)

M a mère est décédée le 22 octobre 2014. A ce moment-là, je vivais à Arbil alors que mes parents étaient réfugiés à Dhok, à environ 3h en voiture. En apprenant la nouvelle j’ai demandé qu’ils m’attendent pour l’enterrement. En route, j’ai pleuré sans arrêt. J’étais très malheureux, je perdais ma mère ! Tout me pesait : sa mort, notre condition de réfugié qui m’empêcha de lui dire adieu avant qu’elle ne meurt… En revenant du cimetière, comme je pleurais toujours, ma cousine m’approcha et me montra, tout proche de nous, un groupe d’enfants : “ Ce sont des enfants Yazidis tous orphelins. C’est une fille yazidie de 15 ans qui les réunit ici. Elle a perdu mère, père, frères et sœurs, tous tués par Daech. Elle est venue s’installer dans cette construction inachevée où elle accueille une quinzaine d’enfants tous plus jeunes qu’elle avec parmi eux des bébés. Elle leur a appris à survivre. Les aînés cherchent de la nourriture pour donner aux plus petits, et du bois pour faire le feu. Elle donnait le bain aux plus petits, le lait aux bébés…
GEORGIA : je l’ai vue dans un documentaire sur You tube !
AMER : Moi je l’ai vue de mes propres yeux. Ce jour-là, en portant un bébé sur sa hanche, elle faisait la vaisselle dehors alors qu’il faisait un froid de canard. C’est comme ça chez nous au nord dans cette région qu’on appelle la Russie de l’Irak. J’ai appris que cette fille continue toujours à s’occuper de ces enfants dans un camp de réfugiés en Irak où ils habitent maintenant sous une tente.
Tu vois, tu pleures sur toi-même ” me dit ma cousine…

Mon arrivée à Beyrouth en février 2015 en pleine nuit fut assez difficile, l’ami qui devait nous guider n’est pas venu ! Pour nous ce fut un vrai problème. Nous eûmes recours au chauffeur de taxi qui nous a conduits dans un hôtel ! Le lendemain, louer un studio minuscule à Nabaa, nous a vidé les poches… ! Nous y avons atterri vers neuf heures du soir et nous devions nous coucher par terre en plein février. C’était impossible, tout le monde allait tomber malade ! Je suis descendu dans la rue pour chercher des cartons qui pouvaient servir de matelas.

Nous nous sommes couchés les enfants au milieu, moi d’un côté et ma femme de l’autre. Recouverts de la couverture que ma sœur avait voulu que nous emportions en quittant l’Irak !

J’étais là à moitié transi et à moitié chauffé ! Je repensais à cette chanson de chez nous : “ j’ai froid d’un côté et chaud de l’autre… ” Au matin, quelqu’un a tapé à la porte. C’était la voisine de palier disant qu’elle n’a pas voulu nous déranger hier soir car nous pouvions être très fatigués. Elle regarda tout autour et tira ses propres conclusions. Une demi-heure plus tard, elle était là avec un très grand plateau avec toutes sortes de choses pour un bon petit déjeuner. Avec du thé “ car chez vous en Irak, vous aimez le thé ! ” précisa- t-elle. Elle-même était arrivée ici avec sa famille depuis je ne sais pas combien de temps, venant de Deir El Zour en Syrie. Elle nous a prêté des matelas, nous disant de les lui rendre plus tard quand nous serions mieux installés. Mais, ce ne fut pas tout ;

elle demanda à son mari de venir me chercher quand il accueillait ses frères et amis le soir pour jouer aux cartes et passer de bons moments autour d’un thé. Alors que les femmes se rendaient chez ma femme Angham, pour passer aussi ensemble la soirée.

ANGHAM : Oui, cette voisine, avant de voyager je vais aller la saluer. A mes débuts à Nabaa, je fus aussi marqué dans cet immeuble, par une voisine très vieille, un peu perdue. Elle venait tous les jours demander de nos nouvelles, nous redemandant notre nom qu’elle oubliait aussitôt. Le soir elle passait pour que nous priions avec elle, cela ne ratait jamais et cela nous faisait du bien. Nous n’étions pas gênés même si elle ne sentait pas très bon. Il lui arrivait de nous offrir le meilleur des fruits et légumes qu’elle avait ramassés à la fermeture des magasins. Elle a su nous marquer alors que bien d’autres non.
SAYYED (un ami de Beitouna) : Raconte-nous un peu, quels étaient tes sentiments lors de la première visite que nous t’avons rendue ?
AMER : Cela faisait une semaine ou deux depuis mon arrivée au Liban, moi j’étais là, toujours à la maison. Quelqu’un me proposa d’aller m’inscrire dans une Église, je l’ai suivi. A mon retour, Angham m’apprit que trois personnes inconnues nous ont rendu visite et ont promis de venir une deuxième fois. Je me demandais qui étaient ces gens-là ? Angham se rappelait que l’un deux habitait en face de chez nous et s’appelait Georges.
GEORGES : Quand nous sommes arrivés chez vous, tu étais là assise par terre sur une sorte de tapis avec tes trois filles.

ANGHAM : Oui, je me demandais si cela était vrai ? Était-ce possible qu’il y ait des gens qui ne nous connaissent pas et qui peuvent s’intéresser à nous? Vous étiez trois : Ammo Georges, Sayyed et Jessy.
SAYYED : vous avez eu peur de nous à ce moment-là ?
ANGHAM : Oui, nous avons eu peur, on nous avait mis en garde des inconnus qui pouvaient venir taper à la porte…
AMER : Angham a toujours très peur quand elle est seule avec les enfants à la maison ! La seconde visite que Beitouna nous a rendue, c’était dans une autre maison, pas très proche de la première. Mais, Beitouna est allé à notre recherche de nouveau. C’est ça Beitouna, ils n’abandonnent personne ! ANGHAM : Je suis arrivée à Beitouna vers la fin de l’hiver. Là-bas j’ai rencontré Georgette, Abir et tant d’autres… Elles m’ont bien accueillie et depuis je fais partie de Beitouna. Sandra aussi nous a rendu visite avec Sr. Thérèse et elle nous a apporté deux kilos de bananes. Ammo Georges aussi nous a offert un kilo de riz lors de sa première visite.

AMER : Quand vous m’avez proposé de rejoindre Beitouna, je n’ai pas hésité… “ Beitouna ” n’est ni pour moi, ni pour toi, mais pour tout le monde et je continuerai à être avec vous à chaque moment. J’aurai de vos nouvelles et vous aurez des miennes. Au Canada, j’aimerais rencontrer Flora qui est aussi de Beitouna. Je l’ai contactée déjà, elle habite à une heure de voiture de Vancouver. C’est comme cela que je sentirai que je suis toujours parmi vous.

Au moment de se séparer, il y a nos applaudissements à tous, les larmes d’Amer embrassant ses amis Georges, Sayed et les autres. Et notre reconnaissance d’avoir découvert ce qu’Amer a reçu au fond de son cœur.

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