Quand les savoirs se croisent et s’enrichissent

ATD Quart Monde Int
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4 min readJul 18, 2017

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Cette histoire raconte la naissance d’une recherche participative en croisement des savoirs avec des populations en situation de pauvreté.

Par Françoise Ferrand (France)

D urant deux ans, 1996–1998, un programme expérimental franco-belge « Quart Monde — Université » réunissait pour la première fois dans une même recherche des chercheurs, des personnes ayant l’expérience de la pauvreté et des volontaires permanents d’ATD Quart Monde.

Ensemble, ils ont donné naissance à la démarche scientifique du Croisement des Savoirs qui sera validée lors d’un colloque international à La Sorbonne en 1999.

En 2000, s’appuyant sur les acquis de cette démarche, un second programme expérimental, Le Croisement des Pratiques, réunit pendant deux ans, des professionnels de différents secteurs de l’intervention sociale et des militants ATD Quart Monde vivant la pauvreté. L’objectif est, en croisant les pratiques respectives d’action, de bâtir des outils de formation initiale et continue.

Lors d’un séminaire de ce programme, un groupe travaille sur le thème de la participation citoyenne. Il réfléchit sur les apprentissages à acquérir pour une réelle participation des personnes en situation de pauvreté. La discussion aborde le thème des besoins essentiels à tout être humain.

Une professionnelle du logement parle de la hiérarchisation des besoins des personnes qu’il faut respecter et elle termine son exposé en se référant à Maslow, psychologue américain. Les militants et moi-même qui co-anime ce groupe sur la participation n’avons jamais entendu parler de Maslow. Je demande des explications. Un professionnel dessine alors la Pyramide de Maslow sur un tableau. Je découvre avec les militants ce classement des besoins et surtout la hiérarchie qu’établit Maslow : on ne peut atteindre le niveau directement supérieur si on n’a pas d’abord satisfait les besoins du/des niveau(x) inférieur(s).

Carine, Patricia, Baudoin réagissent ainsi que Joëlle : “ J’habitais un taudis en dehors du village mais j’avais besoin pour tenir le coup d’écouter de la musique classique ”.

Débute alors un débat très animé sur la place et l’importance accordées aux besoins des personnes. Qui les définit ?

Un professionnel, responsable d’un centre communal d’action sociale, avait expliqué précédemment comment sa ville agit pour les personnes sans domicile. Toutes ces personnes se voient attribuer un logement. Peu de temps après avoir été relogée, une de ces personnes, d’une quarantaine d’années, est retrouvée décédée dans son appartement, “ il est décédé décemment ” conclut ce professionnel. Les militants questionnent : “ Certes, il avait un logement, il était à l’abri de la rue, mais a-t-on vraiment tenu compte des besoins de cet homme ? ”

Pour Carine, Patricia, Baudouin, Joëlle, il est important de ne pas morceler ni cloisonner les besoins des personnes. Ils argumentent combien il est important de voir la personne dans sa globalité c’est-à-dire pas uniquement à travers ses manques mais aussi à travers ses aspirations.

Seuls les besoins primaires semblent vitaux quand il s’agit des personnes vivant la pauvreté. “ Une personne peut avoir des besoins culturels même si elle n’a pas de quoi manger ou se loger. C’est parfois la seule façon qui lui reste pour se raccrocher à quelque chose ” disent-ils.
Joëlle explique : “ Ma fille se moque de dormir dans un lit car elle préfère que l’argent qui servirait à l’achat de son lit soit consacré à ses cours d’équitation ”.

Patricia cite l’exemple de Geneviève Anthonioz de Gaulle, alors Présidente du Mouvement ATD Quart Monde. Pendant la Seconde Guerre Mondiale, Geneviève de Gaulle a vécu l’expérience du camp de concentration à Ravensbrück : “ Elle nous a dit que privée de tout, ce qui l’a aidée à tenir, c’est la culture et la spiritualité ”.

À ce moment de la discussion, je propose aux militants d’utiliser le tableau pour présenter leur façon de voir les besoins des personnes. La pyramide devient alors un cercle divisé en différents quartiers, sans ordre prioritaire et portant chacun le nom d’un besoin (santé, culture, ressources, logement, spiritualité, éducation, travail, …). Le professionnel du centre communal d’action sociale propose alors que ce schéma devienne une grille d’évaluation pour faire le point à la fois par la personne elle-même et par le professionnel : “ Ainsi, la personne peut être relativement satisfaite de son logement, mais préoccupée par son état de santé, la scolarité de ses enfants, son travail…”

La pyramide devenue cercle est désormais enseignée dans certains centres de formation d’intervenants sociaux et les acquis des programmes expérimentaux de recherche de Croisement des savoirs et des pratiques ont pour répercussion au fil des années de nombreuses co-formations au sein d’institutions professionnelles et un intérêt croissant du monde universitaire pour les recherches participatives en croisement des savoirs avec des populations en situation de pauvreté.

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