Un fauteuil pour vivre dignement

ATD Quart Monde Int
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4 min readAug 28, 2017

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L’enfant qui devait ramper pour se déplacer roule aujourd’hui fièrement dans son fauteuil. Et si derrière l’aide apportée, on découvrait le vrai projet de la famille ?

Par Guillaume Amorotti (Madagascar)

J oahany est en situation de handicap. Il vit sur la décharge d’Andramiarana à Antananarivo (Madagascar). Il n’a pas l’usage de ses membres et pour se déplacer il est obligé de ramper.
Avec l’aide de ma collègue Prisca, de la famille, des voisins, des médecins et de l’ONG Merci, nous avons réussi à procurer un fauteuil roulant au petit Joahany qui peut maintenant se déplacer. Mais cette réussite peut cacher une autre réalité et une découverte personnelle.

La vie quotidienne des familles très pauvres de Madagascar est dure, mais c’est aussi une vie où tout ce qui s’échange au quotidien se fait de façon profonde et sincère : des rencontres où le temps n’a plus d’importance, une
écoute bienveillante, une culture riche et pleine de sensibilité et surtout un sens du partage hors norme.
Je suis arrivé à Madagascar en janvier 2015 comme Volontaire de Solidarité Internationale pour l’ONG ATD Quart Monde. C’est la saison des cyclones. Or cette année-là, le cyclone Chezda a été d’une puissance comme on n’en
avait pas vue depuis 1955 : l’inondation qu’il a provoquée a rendu la vie quotidienne encore plus dure que d’habitude.

Je fais alors la connaissance de Joahany sur la décharge d’Andramiarana, près de Antananarivo, la capitale. La plupart des familles sur place vivent du tri et de la récupération des déchets (elles reforment par exemple des
miettes de biscuits pour en faire des gaufres, qu’elles revendent). Tous les jours, elles affrontent le climat. Et avec un éternel sourire, elles continuent d’avancer malgré le poids du quotidien. J’admire sincèrement le courage et la force qu’il leur faut pour tenter de survivre dans ces conditions.

La vie dans ce quartier d’Andramiarana est déjà tellement dure, que le lourd handicap de Joahany me touche au plus haut point. Je parle souvent autour de moi de cet enfant qui me fend le coeur. Un peu avant mon retour en
France, je reçois le ‘sms’ d’une amie Malgache : “ L’ONG Merci peut avoir des fauteuils roulants sous certaines conditions ! Contacte-les vite ! ”
Par chance je connais le coordinateur de cette ONG, je l’appelle directement. Nous prenons rendez-vous et une assistante sociale se déplace jusque dans la famille. Au vu de la situation, la famille est reconnue comme prioritaire et quelques semaines plus tard, après de multiples rendez-vous dans le quartier
mais aussi à l’hôpital pour des consultations, je reçois un ‘sms’ du coordinateur de l’ONG Merci : “ Ca y est, ton jeune se déplace maintenant en formule 1 ! ”.

Nous sommes tous très fiers d’être parvenus à réaliser aussi rapidement ce qui aurait pu durer toute une vie si nous ne nous y étions pas mis tous ensemble. Et pourtant…

Je suis de retour en France, et nous nous écrivons avec ma collègue Prisca. Elle me raconte un peu l’avancée des différents projets et nous en venons à parler de Joahany. Elle me raconte : “ Tu sais, à ce moment-là nous avons
tellement pensé bien faire pour la famille en lui trouvant un fauteuil roulant pour qu’il puisse se déplacer, et peut-être même retourner à l’école, qu’on en a oublié l’usage qu’il voudrait en faire, lui. Aujourd’hui il travaille. Tous les
matins quelqu’un le dépose ‘au goudron’ pour faire la manche et le soir il ramène de l’argent pour aider la famille à se nourrir. Il est fier et heureux… Il a trouvé une place au sein de sa famille et dans la société… Mais il n’ira plus à
l’école. Sa scolarisation est donc un nouveau combat à mener. ”

Est-ce qu’on a vraiment bien agi en introduisant ce fauteuil dans la famille sans avoir préparé Joahany à l’usage qu’il pourrait en faire ? Car maintenant qu’il travaille, on ne parle plus d’école !

Et pour moi c’était une priorité.

Dans son combat quotidien pour survivre, est-ce que le fait de manger un peu mieux le soir grâce au travail de Joahany ne l’emporte pas largement sur celui d’aller à l’école ? Ma perception occidentale n’ a-t-elle pas faussé l’ordre des priorités de la famille ?
S’il avait été à l’école combien de temps cela aurait-il duré ? La faim rongeant l’envie d’aller étudier, il aurait sans doute arrêté.

Voilà. Un an est passé. La famille n’a pas vendu le fauteuil, il n’a pas non plus été volé, car avec ses voisins elle avait pensé comment l’utiliser : qu’il serve à toute la famille et donne une place importante à Joahany. L’enfant qui devait ramper pour se déplacer roule aujourd’hui fièrement dans son fauteuil. Ce faisant, il aide bien sûr sa famille mais aussi son quartier et la société… cette société dont il fait maintenant partie.

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